La conception de la foi chez les ash’arites
(Partie 1)
L’Imâm Harb ibn Ismâ’îl dit dans ses masâil (p. 366) : « Quant aux kharijites, ils taxent les traditionalistes de murjites. Ils mentent ! Ce sont eux les murjites, car ils prétendent être les seuls à avoir à la foi, et ils vouent à la mécréance tous ceux qui ne pensent pas comme eux. »
Louange à Allah le Seigneur de l’Univers ! Que les Prières et le Salut d’Allah soient sur notre Prophète Mohammed, ainsi que sur ses proches et tous ses Compagnons !
Voir notamment : ârâ el murjiya fî musannafât Sheïkh el Islâm qui est une thèse ès Doctorat du D. ‘Abd Allah ibn Mohammed e-Sanad.
Introduction
Les ash’aritesn’ont pas une position uniforme sur la conception de la foi. Le père fondateur lui-même a plus d’une opinion sur le sujet. Trois grandes tendances se dégagent chez les partisans de la secte.
Primo :celle où ils rejoignent le crédo orthodoxe disant que la foi est composée de la parole et des actes. Abû el Hasan l’épousa finalement, ainsi qu’une partie de ses adeptes.[1] Il en parle dans son épitre mas-ala el îmân hal huwa makhlûq aw ghaïr makhlûq ?Dans maqâlât el islâmiyînégalement,[2] il rejoint le crédo traditionaliste selon lequel la foi est composée de la parole et des actes, et qu’elle monte et descend.[3] Sheïkh el Islâmrapporte son discours d’el ibânadans lequel il se range, dans l’ensemble, au crédo de l’Imâm Ahmed.[4] Ibn Taïmiya souligne un point d’une importance capitale pour comprendre la tendance actuelle de la secte. Il explique, en effet, que certains adeptes du fondateur se rendirent compte de l’impertinence de la parole de Jahm. Si beaucoup d’entre eux y renoncèrent, une partie seulement se tourna vers la tendance des anciens.[5]
Secundo :celle où ils rejoignent le crédo d’ibn Kullâb et des murjiya el fiqahadisant que la foi est composée de la croyance (tasdîq) et de la parole. Nous trouvons dans cet ensemble le reste des ash’aritesqui renoncèrent à la parole de Jahm.[6]
Tercio : celle où ils rejoignent le crédo de Jahm qui confine la foi dans la croyance (tasdîq). Elle est la tendance la plus notoire imputée à Abû el Hasan et qui fut adoptée par la plupart des grandes références qui le suivirent comme el Qâdhî Abû Bakr el Baqallânî et Abû el Ma’âlî el Juwaïnî (auxquels il faut ajouter Râzi).[7] Celle-ci fut également adoptée par certains partisans d’Abû Hanîfa, à l’image, contre toute attente, d’el Mâturîdî.[8] Selon eux, la foi, qui se vérifie uniquement au niveau dutasdîq, ne varie pas d’un individu à un autre, et est indivisible ; soit elle existe entièrement soit elle est inexistante. Ils ne conçoivent pas de phase intermédiaire. C’est pourquoi, ils imaginent tout à fait un individu ayant une foi parfaite/ou valable (tamm) capable de blasphémer en toute âme et conscience et sans contrainte.
Les paroles blasphématoires ne sont, à leurs yeux, que le reflet où l’implication de l’absence du tasdîq. À l’inverse, une foi parfaite/ou valable (tamm) n’implique pas forcément les actes ; ils imaginent parfaitement une foi parfaite/ou valable (tamm) sans n’effectuer aucun acte.[9] Jahm, qui confinait la foi dans le cœur, n’imposait même pas l’attestation de la foi. De grandes références à l’image d’Ahmed et de Waqî’ condamnaient à l’apostasie l’auteur d’une telle croyance. Pourtant, el Ash’arî et bon nombre de ses adeptes y adhéraient pleinement, à la différence où ils s’alignaient avec les textes sur les cas d’apostasie. Ils justifiaient qu’on devenait apostat quand la connaissance du cœur (ma’rifa) disparaissait complètement.[10] Le blasphème ne serait donc que la preuve de la mécréance intérieure, non qu’il relève de la mécréance en lui-même. Il est tout à fait possible au même moment, selon eux, que le blasphémateur reste croyant. Quand on leur établit que les textes et le consensus le vouent à la mécréance intérieurement et extérieurement, ils réfutent qu’en réalité, sa mécréance extérieure implique de démentir Dieu intérieurement (takdhîb), ce qui s’oppose littéralement à la foi.[11]
Dans maqâlât el islâmiyîn, el Ash’arî recense les différentes tendancesmurjites(douze en tout), dont celle qui confine la foi dans la connaissance du cœur du Créateur. On est mécréant uniquement quand on ignore son existence. La Trinité n’est pas de la mécréance en soi, mais elle provient uniquement d’un mécréant, comme l’indiquent les textes et le consensus. Ils résument cette ma’rifaà l’amour et à la soumission intérieure du Créateur. En cela, la prière ne relève pas de l’adoration, car adorer Dieu, c’est simplement le connaitre.
Abû el Husaïn e-Sâlihî, qui en est l’instigateur, se représentait la foi et la mécréance comme un seul élément compact et indivisible, et n’acceptant aucune variation.[12] Or, comme le souligne ibn Taïmiya, ce même Ash’arî se rallie à la tendance de Sâlihî dans un autre de ses ouvrages aujourd’hui perdu et ayant pour titre el mûjiz,[13] bien qu’au même moment il prétend dans le même ouvrage suivre les traces de l’Imâm Ahmed.[14]
Ce fameux Sâlihî confinait effectivement la foi dans la ma’rifaet le tasdîq, bien qu’elle réclame certaines exigences, qui, sans les fournir, sont la preuve de l’absence de tasdîqdans le cœur. El Mâturîdî, comme nous l’avons vu, rejoint dans le principe cette tendance, en émettant toutefois une nuance. Ce dernier considère en effet la parole comme une condition (shart) pour la mise en application des lois terrestres.[15] Ainsi, les ash’aritessont en accord avec le jahmismeprimitif confinant la foi dans la croyance intérieure, sans même fournir la parole ni les actes du cœur, et encore moins les actes extérieurs.[16]
Remarque :
Le D. Ahmed ibn ‘Atiya el ‘Âmidî – qu’Allah ait son âme – reproche à ibn Taïmiya et à ibn Hazm avant lui de mettre les ash’aritesdans le même lot que les jahmitesdans le domaine de la foi, sous prétexte qu’ils accordent de l’importance aux actes, et en supposant une nuance subtile entre la ma’rifaqui serait propre aux jahmiteset le tasdîqauquel adhèrent les ash’arites.[17] Or, ibn Taïmiya n’a fait que rapporter les analyses de grands commentateurs ash’arites, à l’instar d’Abû el Qâsim el Ansârî.[18] En outre, l’imam fondateur a deux opinions sur le sens de tasdîq, selon les aveux d’Abû el Qâsim el Ansârî lui-même.[19]
L’une où dans l’optique de Jahm, il serait synonyme de la ma’rifa, et l’autre où il aurait un sens plus restreint. Cette dernière opinion fut adoptée par el Baqallânî et el Juwaïnî.[20] Or, cela ne veut pas dire que les ash’aritesprennent le même statut que les jahmitesaux yeux d’ibn Taïmiya.[21] Nous avons vu plus haut qu’el Ash’arî et bon nombre de ses adeptes s’alignaient avec les textes sur les cas d’apostasie. Ils justifiaient qu’on devenait apostat quand la connaissance du cœur (ma’rifa) disparaissait complètement,[22] contrairement à Jahm qui imaginait la foi possible chez les pires ennemis d’Allah, comme Iblis, Pharaon, les Juifs, etc.[23]
C’est ce qui nous amène au point suivant.
À suivre…
[1]Majmû’ el fatâwâ (7/120, 142, 509).
[2]maqâlât el islâmiyîn(1/347-350).
[3]Majmû’ el fatâwâ (7/549-550).
[4]Majmû’ el fatâwâ (3/223).
[5]Majmû’ el fatâwâ (7/143).
[6]Majmû’ el fatâwâ (7/143).
[7]Majmû’ el fatâwâ (7/511).
[8]Voir : tabsira el adilla (2/799), e-tamhîd li qawâ’îd e-tawhîd (p. 128), el musâmara bi sharh el musâyara (p. 1, 5) de Kamâl ibn Abî Sharîf, et hashiya ibn ‘Âbidîn (7/342).
[9]Majmû’ el fatâwâ (7/582).
[10]Majmû’ el fatâwâ (13/47).
[11]Majmû’ el fatâwâ (7/557).
[12]maqâlât el islâmiyîn(1/214).
[13]Majmû’ el fatâwâ (7/544).
[14]Dar-u e-ta’ârudh d’ibn Taïmiya (2/16).
[15]Majmû’ el fatâwâ (7/509-510).
[16]E-sârim el maslûl d’ibn Taïmiya (3/960).
[17]Voir : el îmân baïna e-salaf wa el mutakallimîn (151-157).
[18]Le livre dont s’inspire ibn Taïmiya est aujourd’hui encore à l’état de manuscrit, mais on peut retrouver les passages en question dans nihâyat el aqdâm (p. 472), et el musâmara bi sharh el musâyara (p. 33) de Kamâl ibn Abî Sharîf
[19]Notons que dans sharh el maqâsid (5/177), e-Tiftizânî dit explicitement que leur Imâm penche éventuellement pour cette opinion.
[20]E-tis’îniya d’ibn Taïmiya (2/649-651).
[21]Voir : e-nubuwât (p. 199).
[22]Majmû’ el fatâwâ (13/47).
[23]Majmû’ el fatâwâ (13/47).
تعليق