Ibn Taïmiya et les kharijites
(Partie 1)
Il y a en effet un signe dans la vie des abeilles ! Qui leur a ordonné de construire les alvéoles en forme hexagonale, imperméable à l’air, sans outil ni ingénieur ! Qui leur a ordonné de construire leur demeure avant de butiner les fleurs ? Qui leur a ordonné de choisir leur demeure dans les montagnes, les arbres, les ruches et les constructions humaines ? Qui les guide dans une organisation aussi parfaite et qui ne tolère aucune anarchie, à tel point que quiconque convoite la place de la reine est immédiatement mis à mort ? [Voir : Miftâh dâr e-sa’âda d’ibn el Qaïyim el Jawziya (2/165-167).]
Louange à Allah le Seigneur de l’Univers ! Que les Prières et le Salut d’Allah soient sur notre Prophète Mohammed, ainsi que sur ses proches et tous ses Compagnons !
Les kharijites sont des innovateurs
Sheïkh el Islam ibn Taïmiya a dit : « La bid’a(l’innovation ndt.)[1] par laquelle nous pouvons considérer que son auteur est un mubtadi’ (innovateur ndt.)correspond à toute initiative connue chez les savants traditionalistes pour être contraire au Coran et à la sunnaà l’exemple de la bid’ades kharijites, des râfidhites, des qadarites, et des murjites. »[2]
Ibn Taïmiya affirme que les anciens étaient divisés sur le takfîr des kharijites. Si, selon l’opinion la plus probable et à laquelle adhère Ibn Taïmiya, ils restent des musulmans, il n’en demeure pas moins que les anciens sont unanimes à dire qu’il faut les combattre coûte que coûte.[3]
Quelle est la première innovation ?
Sheïkh el Islam ibn Taïmiya – qu’Allah lui fasse miséricorde – précise à ce sujet : « Puis, à la fin du siècle des Compagnons, les qadaritesont fait leur apparition. Leur incapacité à appréhender correctement le Destin d’Allah et la foi à Ses Commandements (obligations/interdictions)est à l’origine de leur innovation… Auparavant, les kharijitesse sont initiés sur la question du takfîrdes auteurs des grands péchés dans la communauté musulmane qu’ils condamnent à l’Enfer éternel. La polémique a ensuite pris de l’ampleur pour s’étendre aux qadaritesaprès la mort d’el Hasan el Basrî. ‘Amr ibn ‘Ubaïd et ses disciples assument qu’ils ne sont ni des musulmans ni des mécréants, mais qu’ils se trouvent à un état intermédiaire entre ces deux états (manzila baïna el manzilataïn) ; ils méritent, malgré tout, de demeurer éternellement en Enfer. En cela, ils rejoignent la croyance des kharijitesdisant qu’ils demeurent à jamais dans la Géhenne, et qu’ils n’ont aucun lien avec l’Islam et la foi (imân), bien qu’au même moment ils ne portent pas le nom de mécréants. »[4]
Chronologiquement, les murjites sont venus après les kharijites, mais aussi après les qadarites, mais avant les jahmites. Les premiers balbutiements de l’irjâ se firent ressentirent dans la deuxième partie du premier siècle, après la mort d’ibn el Ash’ath, en réaction au kharijisme, à la fin des années 70 plus exactement.[5] La plupart de ses premiers adeptes venaient de Kûfa, mais ils ne comptaient pas parmi les élèves d’ibn Mas’ûd ni de l’Imam Ibrahim e-Nakha’î.[6] Plus une innovation s’éloigne de l’époque des Compagnons plus celle-ci est grave.[7] Ibn Taïmiya explique que les premières innovations étaient plus en adéquation avec les religions juive et chrétienne, plus proches de l’Islam, que celles qui vinrent par la suite.[8]
Les caractéristiques des kharijites
Sheïkh el Islam explique que les kharijites se distinguent par deux caractéristiques :
1- Ils s’insurgent contre les textes et la sunna en inversant les valeurs ; leur père spirituel Dhû el Khuwaïsira e-Tamîmî en est le meilleur exemple, lui qui interpella le meilleur des hommes en ces termes : « Sois juste ! Tu n’as pas été juste.
- Malheur à toi, lui lança-t-il, qui peut se vanter d’être juste si je ne le suis pas. »[9]
2- Ils sortent dans un premier temps, les musulmans de l’Islam à cause de leurs erreurs ou de leurs péchés. Puis, ils légitiment leurs biens et leur sang, et considèrent qu’ils ne vivent pas en terre d’Islam.[10]
Sheïkh el Islam explique : « Les Kharijites ont interprété certains Versets du Coran en fonction de leur croyance et ont considéré mécréante toute personne s’opposant à celle-ci. »[11]
« C'est pourquoi il faut prendre garde à ne pas taxer les musulmans d’apostasie à cause de leurs erreurs ou de leurs péchés, car c’est la première innovation apparue dans l’Islam. Ces adeptes ont exclu les musulmans de la religion et ils se sont légitimés leurs biens et leur sang. »[12]
Il établit également à ce sujet : « À l’origine de leur égarement, nous pouvons constater que, dans un premier temps, ils sont convaincus que les grandes références de la religion et la communauté musulmane ne sont plus crédibles en raison de leur injustice. Ils les voient comme des égarés. Cette vision est caractéristique à tous les opposants à la sunna, parmi notamment les râfidhites. La deuxième étape consiste à faire passer ce qu’ils voient être de l’injustice pour de la mécréance. Puis, par rapport à ce statut, ils mettent en pratique certains principes qu’ils ont innovés. Voici les trois étapes par lesquelles passent ceux qui sortent de la religion (mâriqîn)parmi les harûriteset les râfidhites. »[13]
Ailleurs, il donne d’autres détails : « C’est pourquoi, l’un des principes traditionalistes invite à renoncer à prendre les armes contre les sultans, et à participer à des troubles, contrairement aux mu’tazilites, qui voient en cela, l’un des grands principes de leur religion. »[14]
Le takfîr des opposants et notamment des savants
Sheïkh el Islam ibn Taïmiya affirme : « Bon nombre d’innovateurs à l’instar des kharijites, râfidhîtes, qadarites, jahmites, mumaththilites(assimilateurs) ont des croyances erronées qu’ils s’imaginent correspondre à la vérité, tout en considérant mécréant quiconque s’oppose à celles-ci. »[15]
Il a dit également : « Les « hérétiques » ont la particularité d’innover des tendances qu’ils considèrent comme les obligations de la religion, voir comme faisant partie intégrante de la foi ; ils taxent de mécréance et légitiment le sang de toute personne qui n’y adhère pas comme c’est le cas des kharijites, des jahmites, des râfidhîtes, des mu’tazilites, etc. À l’inverse, les traditionalistes n’innovent pas de nouvelles idées et ne condamnent pas d’apostasie ceux qui commettent une erreur d’interprétation ou qui sont en désaccord avec eux, bien qu’eux-mêmes se permettent de les condamner d’apostasie et de légitimer leur sang. Les Compagnons n’ont pas sorti les kharijitesde la religion bien que ces derniers ont taxé d’apostasie ‘Uthmân, ‘Ali et tous ceux qui ont reconnu leur autorité (ou qui s’en font les alliés ndt.), et bien qu’ils aient légitimé de verser le sang des musulmans. »[16]
« L’une des pratiques les plus ignobles, c’est de voir les ignorants taxer les savants musulmans d’apostats. Une telle pratique vient à l’origine des kharijiteset des râfidhîtesqui condamnaient les responsables musulmans d’apostats. »[17]
Au cours des lignes où il réfute el Bakrî, Sheïkh el Islam ibn Taïmiya fait le constat suivant : « La voie empruntée par cet homme et tous ceux qui lui ressemblent, est celle des innovateurs qui sont imprégnés à la fois de l’ignorance et de l’injustice. Dans un premier temps, ils innovent une chose allant à l’encontre des Textes du Coran, de la sunna, et du consensus. Ensuite, ils traitent d’apostats tous ceux qui s’opposent à leur innovation.
Quant aux traditionalistes, imprégnés par la foi et la connaissance, ils sont motivés par la science, la justice, et la compassion à l’égard des autres. Ils connaissent la vérité qui leur permet de se conformer au Coran et à la sunnaet de les préserver de la bid’a, mais ils sont justes à l’encontre de leurs opposants et ils ne font nullement preuve d’injustice à leur égard. »[18]
« Les kharijites kaffar la jamâ’a (les traditionalistes ou les musulmans, ou peut-être les Compagnons ndt.), comme les mu’ataziliteset les râfidhites kaffar leurs opposants : au meilleur des cas, ils les considèrent comme des pervers (tafsîq). Ainsi, les gens des passions innovent une tendance et vouent à l’apostasie tous ceux qui s’y opposent. Quant aux traditionalistes, ils suivent la vérité de leur Seigneur qui leur est venu du Messager (r). Ils ne kaffar par leurs opposants ; ils sont les plus savants des hommes, et sont les plus cléments envers les hommes. »[19]
Cette caractéristique est propre aux râfidhites et aux innovateurs en général
Sheïkh el Islam ibn Taïmiya nous fait le constat suivant : « Les râfidhîtestaxent de mécréance Abû Bakr, ‘Omar, ‘Uthmân, la majeure partie des muhâjirins (émigrés mecquois)et des ansârs (auxiliaires médinois), et leurs fidèles successeurs, alors qu’Allah les agrée et qu’à leur tour ils L’agréent. Ils ont ainsi sorti de la religion la plupart des adeptes de la communauté de Mohammed parmi les premières et les dernières générations. Ils considèrent comme non musulmane toute personne convaincue qu’Abû Bakr, ‘Omar, les muhâjirins et les ansârssont crédibles et justes, qui les agréent comme Allah les a agréés, ou qui leur implore le pardon d’Allah comme Lui-même a demandé de le faire. Ainsi, ils « excommunient » les grandes autorités de la religion musulmane à l’exemple de Sa’îd ibn el Musaïb, Abû Muslim el Khawlânî, Uwaïs el Qurnî, ‘Ata ibn Abî Rabâh, et Ibrahim e-Nakha’î. Il en est de même concernant Mâlik, el Awzâ’î, Abû Hanîfa, Hammâd ibn Zaïd, Hammâd ibn Salama, e-Thawrî, e-Shâfi’î, Ahmed ibn Hanbal, Fudhaïl ibn ‘Iyâdh, e-Sulaïmân e-Dârânî, Ma’rûf el Karkhî, el Junaïd ibn Mohammed, Sahl ibn ‘Abd Allah e-Tusturî, etc.
Ils estiment notamment que ces gens-là sont plus mécréants que les juifs et les chrétiens, car il est plus grave d’avoir renoncé à sa religion que de n’y être jamais entré ; à l’unanimité des savants en effet l’apostat est plus condamnable que le mécréant d’origine. »[20]
À suivre…
[1]Sheïkh Ibrahim e-Ruhaîlî a retenu la définition suivante de l’innovation : c’est toute voie inventée dans la religion qui vient s’opposer à la Législation avec l’intention pour celui qui l’emprunte d'amplifier l’adoration d’Allah.
[2]Majmû’ el fatâwâ(414/35).
[3]Majmû’ el fatâwa (28/512-513, et 13/356).
[4]Majmû’ el fatâwâ (13/36, 37).
[5]Voir : ârâ el murjiya fî musannafât Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya qui est une thèse ès Doctorat du D. ‘Abd Allah ibn Mohammed e-Sanad (p. 93-101).
[6]majmû’ el fatâwa (13/38).
[7]E-radd ‘alâ el Akhnâî d’ibn Taïmiya (p. 213).
[8]Majmû’ el fatâwâ (8/458).
[9]Rapporté par el Bukhârî (5057) et Muslim (1066), selon ‘Alî ibn Abî Tâlib (t).
[10]Majmû’ el fatâwâ (19/72).
[11]Majmû’ el fatâwâ (20/164), voir également : Dar ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (1/276).
[12]Majmû’ el fatâwâ (13/31, 3/279, 7/481), voir également : sharh el asfahâniya (p. 225).
[13]Majmû’ el fatâwâ (28/497).
[14]Majmû’ el fatâwâ (28/503).
[15]Majmû’ el fatâwâ (13/466, 467).
[16]Minhâj e-sunna (5/95), voir certains passages importants des paroles de Sheïkh el Islam ibn Taïmiya allant dans ce sens, dans Majmû’ el Fatâwâ (19/73-75), Minhâj e-Sunna (5/158 et 239, 240), e-Radd ‘ala el Bakrî (2/487-490).
[17]Majmû’ el fatâwa (35/100).
[18]E-radd ‘alâ el Bakrî(2/487-490).
[19]Minhâj e-sunna(5/158).
[20]Majmû’ el fatâwâ(28/477, 478).
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